Fiona Brinkman

Adjointe du pilier 6 CAMEO (Analyse computationnelle, modélisation et résultats évolutifs) du réseau CoVaRR-Net

Professeure émérite, Université Simon Fraser

Robert Delatolla

Directeur, Groupe de recherche sur la surveillance des eaux usées du réseau CoVaRR-Net
Pilier 5 du réseau CoVaRR-Net sur la génomique et le séquençage viraux

Professeur, Département de génie civil, Université d’Ottawa
Chaire de santé publique appliquée des IRSC – Environnement, changement climatique et « Une seule santé »

Le SRAS-CoV-2 et la maladie qui en découle, la COVID-19, n’ont pas disparu. Le suivi des eaux usées indique que les niveaux de SARS-CoV-2 au Canada se situent actuellement entre 10 et 15 % des niveaux maximaux atteints au plus fort de la pandémie. Bien qu’il soit encourageant de constater qu’ils sont beaucoup plus bas que lors du pic, ces niveaux représentent toujours une charge virale communautaire importante et, par conséquent, une incidence significative de la maladie dans l’ensemble du pays. Actuellement, on observe également une augmentation du nombre de cas dans de nombreuses régions.

« KP.3 est actuellement le variant le plus dominant au Canada, mais d’autres variants présentant des mutations notables d’évasion immunitaire se développent également, fournissant une sélection de variants viraux auxquels les gens peuvent être sensibles », explique la Pre Fiona Brinkman, adjointe du pilier CAMEO du réseau CoVaRR-Net et professeure émérite de bioinformatique et de génomique à l’Université Simon Fraser. « Ce sont tous des descendants du variant JN.1. Ce qui est remarquable dans la vague actuelle de variants, c’est que la plupart d’entre eux sont de plus en plus évasifs sur le plan immunitaire. » Cela signifie qu’une immunité antérieure due à une infection par un autre variant ou une vaccination contre un autre variant n’est pas aussi efficace pour se prémunir contre l’infection.

« Bien qu’il n’y ait pas d’inquiétude majeure pour le moment, les Canadiens sont encouragés à se faire vacciner lorsqu’ils en ont le droit, en particulier les personnes âgées qui sont plus sensibles à ce virus, car la vaccination pourrait réduire la gravité de la maladie », déclare la Pre Brinkman. Le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) a récemment mis à jour ses recommandations, conseillant aux Canadiens de recevoir un rappel de la formulation la plus récente du vaccin COVID-19 cet automne, si trois à six mois se sont écoulés depuis la précédente vaccination COVID-19 ou une infection.

Faire attention à la « grippe aviaire » au Canada

En attendant, des experts, dont plusieurs du réseau CoVaRR-Net, contribuent à des analyses qui permettent de suivre un sous-type de grippe aviaire, le H5N1, également connu sous le nom d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP).

Une éclosion surprenante de H5N1 dans le bétail américain a été signalée pour la première fois le 25 mars 2024. Les analyses génomiques, y compris une étude rapidement publiée impliquant des membres du réseau CoVaRR-Net, indiquent que ce virus s’est introduit chez les vaches probablement en une seule fois, vers la fin de l’année 2023. Depuis, la maladie s’est propagée à plus de 100 troupeaux de vaches laitières dans au moins 12 États américains, dont certains sont limitrophes du Canada. Des cas sporadiques ont été signalés chez des travailleurs de fermes laitières et des cas ont également été identifiés chez de nombreux autres animaux, y compris des oiseaux et des mammifères, qui ont contracté ce sous-type viral particulier à partir de ce foyer de vaches.

« Au Canada, aucun cas de H5N1 n’a été signalé chez le bétail, ce qui est une bonne nouvelle », déclare la Pre Brinkman. « Bien que nous soyons aujourd’hui en bonne position, les services de santé publique, les chercheurs et d’autres acteurs de la communauté doivent être prêts et vigilants en matière de surveillance, et travailler en étroite collaboration avec ceux qui pourraient être les plus touchés, notamment sur le plan économique. »

« L’une des principales préoccupations à l’heure actuelle est que ce virus passe récemment des vaches à de nombreuses autres espèces de mammifères et que, dans certains cas, il provoque une maladie très grave avec un taux de mortalité élevé d’environ 50 % », prévient la Pre Brinkman.

« Comme le souligne la santé publique, le risque pour la population est actuellement faible. Mais le passage des oiseaux à plusieurs mammifères via les vaches est préoccupant, car chaque fois que le virus passe d’une espèce à l’autre, la pression sélective est plus forte pour que le virus acquière certaines mutations adaptatives qui pourraient permettre la transmission entre mammifères, y compris l’homme, d’une forme grave de la maladie », ajoute-t-elle. « Nous ne pouvons tout simplement pas répéter une pandémie comme celle de la COVID-19 et nous devons protéger notre secteur agricole, qui est déjà en difficulté. Grâce à une surveillance renforcée, nous pouvons réagir plus rapidement, de manière à réduire l’impact sur les personnes, les autres animaux, les industries et notre économie. »

Surveillance des eaux usées : un détecteur de fumée pour la grippe aviaire humaine dans l’ensemble du pays

Le Pr Robert Delatolla, du réseau CoVaRR-Net, reconnaît que la vigilance est essentielle pour prévenir ou réduire le risque d’éclosions de grippe aviaire chez l’humain. « Il est temps que nous nous préparions à l’improbable : la grippe aviaire chez les bovins s’adapte, passe à l’homme et se propage aux humains », déclare le Pr Delatolla, directeur du Groupe de recherche sur la surveillance des eaux usées du réseau CoVaRR-Net, adjoint au pilier Génomique et séquençage viraux, et professeur au Département de génie civil de l’Université d’Ottawa. « Je crains que l’improbable ne devienne de plus en plus probable à mesure que le H5N1 fait des allers-retours entre d’autres espèces de mammifères et continue d’évoluer. Avant la pandémie, il semblait improbable que le SRAS-CoV-2 passe de l’animal à l’humain. »

Le Pr Delatolla et certains de ses collègues à travers le pays utilisent désormais la surveillance des eaux usées pour détecter les premiers signes de grippe aviaire chez l’homme. Aux États-Unis, la surveillance des eaux usées au Texas a détecté un signal précoce d’une éclosion de grippe aviaire chez le bétail trois semaines avant que le ministère américain de l’agriculture ne signale pour la première fois des bovins infectés. « Il existe un réseau important de 100 à 200 sites partout au Canada qui surveillent activement les eaux usées pour différents pathogènes. Étant donné que nous sommes dans la période creuse de la grippe saisonnière, il serait inhabituel de voir les niveaux de grippe A augmenter dans les eaux usées au printemps et en été. Ce serait un indicateur d’une éventuelle grippe aviaire dans une communauté qui nécessiterait des recherches plus approfondies », explique le Pr Delatolla, qui note que les systèmes d’assainissement américains de certains États comprennent à la fois des déchets d’origine humaine et des déchets de sous-produits animaux.

Le système canadien de surveillance des eaux usées se concentre sur les déchets humains, ce qui constitue un avantage important pour déterminer si les humains sont la source de tout virus H5N1 détecté. « Nous disposons de la capacité de surveillance exacte nécessaire pour détecter les signes probables ou possibles du H5N1 à l’aide d’une sonde générale de détection de la grippe A. Nous pouvons ensuite effectuer un test de sous-typage pour confirmer si le virus de la grippe A détecté est le H5N1. Grâce à un effort national coordonné de surveillance des eaux usées en collaboration avec la santé publique, nous serions en mesure de tirer la sonnette d’alarme dans tout le pays en cas d’apparition de cas de grippe aviaire chez l’humain », explique-t-il.

Suivre l’évolution de la grippe aviaire pour évaluer l’évolution des risques pour l’humain

Selon la Pre Brinkman, la surveillance et l’analyse permanentes de l’évolution du virus H5N1 et de son déplacement à travers (et au sein) de différentes espèces de mammifères sont essentielles pour évaluer rapidement et efficacement l’évolution des risques pour l’humain. « Nous pouvons vraiment apprendre de l’eau et des eaux usées. Ce qui m’intéresse, c’est d’aider à coordonner les différents efforts entrepris par les chercheurs de partout au Canada qui étudient l’évolution du H5N1 et d’autres agents pathogènes, et d’intégrer les données de manière à aider les chercheurs, les communautés et les services de santé publique à mettre au point des mesures appropriées et adaptées à la communauté qui contribueront à contrôler les menaces de la maladie », explique-t-elle.

En tant que membre de l’équipe d’élaboration du portail de données VirusSeq du Canada, la Pre Brinkman travaille avec Mélanie Courtot (Institut ontarien de recherche sur le cancer), Emma Griffiths (Université Simon Fraser), Guillaume Bourque (Université McGill) et d’autres pour développer cette base de données nationale à sources et accès libres afin de soutenir les analyses et la visualisation des données sur les eaux usées pathogènes provenant de l’ensemble du pays. « Nous pouvons inclure dans cette plateforme des données supplémentaires qui ne sont pas présentes dans d’autres bases de données et la développer avec une approche qui facilite la collaboration et l’innovation en matière de recherche et de santé publique, et qui tient compte des besoins du Canada, tels que la souveraineté des données pour les Autochtones », déclare la Pre Brinkman. L’équipe a reçu un financement du réseau CoVaRR-Net pour l’aider à soutenir l’expansion.

« Le fait de disposer d’une plateforme de données canadienne permet aux chercheurs, aux membres de la communauté, aux responsables de la santé publique et aux décideurs politiques d’examiner ce qui se passe en temps réel et au fil du temps en ce qui concerne les agents pathogènes, tels que ceux qui causent la COVID-19, le VRS et la grippe, dans tout le pays et dans chaque région », ajoute le Pr Delatolla. « Cela nous permettra de mieux réagir aux nouvelles éclosions et de les tuer dans l’œuf afin qu’elles aient moins d’impact sur les personnes, les industries et notre économie. »

Le réseau CoVaRR-Net est extrêmement préoccupé et en profond désaccord avec le fait que l’Ontario cesse de financer son programme de surveillance des eaux usées et y mette fin.

Cette nouvelle regrettable survient alors qu’un agent pathogène entraînant des conséquences graves, à savoir la grippe aviaire hautement pathogène H5N1, infecte actuellement des vaches laitières juste au sud de notre frontière. La surveillance des eaux usées est une méthode très efficace et peu coûteuse pour contrôler la prévalence et la propagation d’agents pathogènes nocifs dans la population. Il s’agit de la première ligne de surveillance permettant d’identifier rapidement l’apparition d’une éclosion et d’atténuer la propagation d’un agent pathogène. Cette décision de l’Ontario portera un coup dévastateur aux efforts de surveillance nationaux, puisque 58 sites d’analyse seront fermés dans l’ensemble de l’Ontario et que le personnel hautement qualifié qui est expert en surveillance des eaux usées commencera probablement à se détourner de ce domaine de recherche et de surveillance. À ce jour, nous n’avons connaissance d’aucune autre initiative provinciale ou fédérale visant à compenser cette perte de capacité de surveillance nationale.