Jason Kindrachuk
Co-responsable du Pilier 2– Interactions hôte-pathogène
Chaire de recherche du Canada de niveau 2 en pathogénie moléculaire des virus émergents et réémergents, et professeur à l’Université du Manitoba
Angela L. Rasmussen
Co-responsable du Pilier 2– Interactions hôte-pathogène
Chercheur scientifique III, Vaccine and Infectious Diseases Organization (VIDO), Université de Saskatchewan
Affiliée, Georgetown Center for Global Health Sciences and Security
En tant que co-responsables du pilier Interactions hôte-pathogène du réseau CoVaRR-Net et dans le cadre de leurs propres recherches indépendantes, les Prs Angela Rasmussen et Jason Kindrachuk se concentrent sur les pathogènes zoonotiques émergents, notamment le SRAS-CoV-2, qui se sont propagés (ou un bon potentiel de le faire) parmi les espèces animales, puis des animaux à l’humain. Si un nombre suffisant de mutations se produit, chacune d’entre elles pourrait – comme l’a fait le SRAS-CoV-2 – entraîner une transmission interhumaine importante. Afin d’éviter une nouvelle pandémie, les chercheurs mènent des activités de surveillance et de recherche au Canada et ailleurs dans le monde. Ils étudient l’évolution des agents pathogènes chez les animaux et la manière dont les infections chez diverses espèces animales au Canada peuvent influer sur la santé humaine.
Le SRAS-CoV-2 est apparu chez les animaux, s’est propagé à l’humain et s’est à nouveau propagé à des animaux tels que les tigres, les lions, les panthères et les loutres dans les zoos, les visons dans les élevages de visons, les gorilles, les ours, les hyènes, les hippopotames, les cerfs de Virginie, les cerfs mulets, les ouistitis, les fourmiliers géants et les animaux domestiques tels que les chats, les chiens, les hamsters et les furets.
Ce cercle vicieux peut avoir de graves conséquences. Lorsque le virus se transmet rapidement au sein d’une espèce animale, les mutations du SARS-CoV-2 sont plus susceptibles de se produire. Lorsque la transmission se fait d’une espèce à l’autre, l’évolution du virus est accélérée, ce qui entraîne la possibilité de nombreuses nouvelles mutations. « Le risque réel que le virus revienne chez les animaux est que le SRAS-CoV-2 devienne endémique dans tous ces réservoirs animaux. Lorsque le virus se transmet au sein d’une espèce animale ou entre espèces, il peut évoluer de manière imprévisible, ce qui pourrait l’aggraver lorsqu’il revient chez l’humain », explique la Pre Rasmussen, chercheuse à la Vaccine and Infectious Diseases Organization (VIDO) de l’Université de la Saskatchewan. « Il faut s’en préoccuper. »
Les Prs Rasmussen et Kindrachuk ont testé la vulnérabilité de plus de 70 espèces nord-américaines et collaborent actuellement avec Parcs Canada et le Saskatoon Forestry Farm Park & Zoo pour effectuer une surveillance et mettre au point des outils de recherche à partir d’espèces telles que le bison, le mouflon d’Amérique, le renard, le cerf, l’ours et divers petits mammifères. La Pre Rasmussen utilise une approche similaire pour identifier les espèces vendues au marché de fruits de mer de Huanan à Wuhan, en Chine, qui sont vulnérables à la souche ancestrale du SRAS-CoV-2 et qui pourraient avoir été les hôtes intermédiaires à partir desquels le virus a sauté pour déclencher la pandémie à la fin de l’année 2019. « Travailler en laboratoire avec ces échantillons d’animaux sauvages nous permettra de donner la priorité à la surveillance des espèces nord-américaines vulnérables et de mieux comprendre les interactions entre l’hôte et l’agent pathogène », explique-t-elle, notant que le SRAS-CoV-2 est revenu chez l’humain à partir de visons d’élevage infectés, de chats domestiques et de cerfs de Virginie.
Le premier cas probable de transmission du SRAS-CoV-2 d’un cerf de Virginie à un être humain au Canada a été signalé en 2022 par une équipe de recherche comprenant le Pr Brad Pickering, adjoint du Pilier 2 et chercheur scientifique, responsable des pathogènes spéciaux au Centre national des maladies animales exotiques de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Une version hautement mutée du SRAS-CoV-2 a été identifiée dans des échantillons de cerfs chassés et chez un résident du Sud-ouest de l’Ontario qui avait été en contact étroit avec des cerfs. Cela montre que les cerfs ou d’autres espèces animales peuvent servir de réservoirs pour la transmission de variants nouveaux et divergents à l’humain.
Les chercheurs du réseau CoVaRR-Net visent également à comprendre l’impact du virus au sein de chaque espèce et entre les différentes espèces. « En obtenant des données de profilage moléculaire à partir de modèles animaux et d’échantillons d’animaux sauvages, nous voulons évaluer la vulnérabilité de différentes espèces à l’infection par le SRAS-CoV-2 et examiner leur réponse pour prédire la gravité de l’infection. Grâce à l’apprentissage automatique, nous pourrions être en mesure de prédire les types de variants susceptibles d’apparaître. Cela pourrait nous aider à prédire les résultats et à évaluer les risques posés par les nouveaux variants émergents pour les humains et les animaux », déclare la Pre Rasmussen. « Il est également possible d’étendre cette approche innovante à d’autres virus zoonotiques.
La propagation panzootique de la grippe aviaire accroît le risque pour l’humain
La Pre Rasmussen est coauteur d’un rapport scientifique international de premier plan publié en mai sur la manière dont la grippe aviaire (H5N1) est passée des oiseaux sauvages au bétail laitier, s’est propagée parmi le bétail et a infecté un ouvrier d’une ferme laitière du Texas.
« Notre analyse a montré très tôt que le premier foyer bovin au Texas provenait d’un seul réservoir de H5N1 et n’a pas été détecté ou identifié pendant plusieurs mois. Un remaniement des gènes des virus aviaires nord-américains s’est produit peu avant l’éclosion chez les bovins, et ces changements ont permis au virus d’infecter plus facilement les vaches et d’autres espèces de mammifères », explique la Pre Rasmussen. « Les données ont également montré que la transmission du H5N1 entre les bovins était suffisamment importante pour se répercuter sur les oiseaux sauvages, la volaille, les chats, les ratons laveurs et d’autres espèces.
La zoonose désigne une infection ou une maladie transmise d’un animal à un hôte humain et/ou inversement. Le SARS-CoV-2, l’Ebola, la mpox (anciennement la variole du singe) et certaines grippes aviaires et porcines sont des exemples de virus zoonotiques. Le virus H5N1 a désormais infecté plus de 200 espèces de mammifères, y compris de nombreuses espèces qui n’étaient pas connues auparavant pour être vulnérables au virus. Depuis le début de l’année, des cas sporadiques d’infection par le virus H5N1 ont été confirmés. La Pre Rasmussen craint qu’à mesure que le virus se propage parmi le bétail et passe dans d’autres espèces, davantage de travailleurs agricoles soient exposés et infectés par le H5N1, et que cette souche virale soit plus susceptible de s’adapter, par exemple en se développant dans les voies respiratoires, ce qui pourrait conduire à une éclosion chez l’humain.
Si la grippe aviaire continue de se propager et devient endémique parmi le bétail, la Pre Rasmussen estime qu’elle posera de multiples risques pour le Canada en ce qui concerne l’industrie agricole, la sécurité alimentaire et la santé humaine. Aucun cas de grippe aviaire n’a encore été confirmé chez les bovins canadiens. « Le Canada est un gros importateur de bétail américain, avec plus de 300 000 têtes par an. Nous devons savoir si le H5N1 est présent dans le bétail au Canada et quelles sont les possibilités s’il arrive ici. »
Le Pr Kindrachuk, titulaire de la chaire de recherche du Canada en pathogenèse moléculaire des virus émergents et professeur à l’Université du Manitoba, s’est associé à la Pre Rasmussen et à d’autres chercheurs canadiens pour tester le lait vendu dans les épiceries afin de détecter d’éventuels fragments du virus H5N1. « Les groupes de recherche canadiens peuvent renforcer la surveillance fédérale exercée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments afin de mettre en place un système d’alerte précoce efficace permettant de détecter l’introduction du virus de la grippe aviaire dans le bétail canadien », suggère le Pr Kindrachuk. « Bien que la pasteurisation du lait protège les personnes contre les virus infectieux, il existe un risque que le H5N1, en se déplaçant chez les animaux, s’adapte d’une manière qui affecte la sécurité alimentaire. Le virus présente également des risques sérieux pour la santé des animaux. Parmi les chats qui ont bu du lait cru dans des fermes laitières américaines, par exemple, plus de 50 % de ceux qui ont été déclarés positifs au H5N1 sont morts de l’infection. »
Autres agents pathogènes présents chez les animaux qui se sont propagés – ou pourraient se propager – à l’humain dans le monde entier
Si la grippe aviaire est la menace zoonotique qui a le plus fait parler d’elle en Amérique du Nord ces derniers temps, les chercheurs du Pilier 2 du réseau CoVaRR-Net surveillent ces autres pathogènes zoonotiques qui ont évolué pour devenir plus virulents et constituer des menaces de plus en plus dangereuses pour l’humain :
mpox
L’année dernière, le Pr Kindrachuk a codirigé une équipe de recherche conjointe Canada-République démocratique du Congo (RDC) qui a identifié une souche de virus mpox plus mortelle et plus transmissible en RDC, appelée clade Ib. L’épidémie de 2022, qui s’est propagée à de nombreux pays dont le Canada, concernait le clade IIb, une version moins grave qui touchait principalement les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Le Pr Kindrachuk a travaillé avec des chercheurs en santé publique de la RDC pour enquêter et aider à contenir une épidémie qui a entraîné plus de 20 000 cas documentés et près de 1 000 décès en RDC depuis janvier 2023. Le virus est devenu endémique dans plusieurs autres pays d’Afrique centrale et se transmet également à l’humain par contact avec des animaux sauvages infectés. « Le virus mpox de clade 1 s’est propagé à 23 des 26 provinces de la RDC depuis le début de l’année 2023. Ce clade est associé à une maladie plus grave que celle observée lors de l’épidémie mondiale (clade IIb), et les infections sont désormais associées à des contacts avec des animaux sauvages ainsi qu’à des contacts intimes (sexuels), y compris hétérosexuels et homosexuels », explique-t-il. « Étant donné l’incidence croissante de la mpox associée aux contacts sexuels en RDC, il existe un risque important de propagation géographique, y compris dans les régions voisines et au-delà, ce qui pourrait alimenter une autre éclosion mondiale de mpox plus dangereuse, à moins que la communauté internationale ne contribue à soutenir et à étendre les efforts de la RDC pour l’endiguer. »
Variole boréale
La variole boréale (Borealpox), anciennement connue sous le nom d’Alaskapox, est un autre virus zoonotique émergent trouvé chez les campagnols, les musaraignes et les écureuils roux que la Pre Rasmussen surveille. « Six des sept cas signalés depuis 2015 ont été relativement bénins, mais en janvier, un homme immunodéprimé de l’Alaska est mort du virus. Nous devons mieux comprendre les risques que représentent pour l’humain les orthopoxvirus, tels que la variole boréale et la mpox, au fur et à mesure de leur évolution », explique-t-elle, précisant qu’une des possibilités étudiées est que les chats et les chiens domestiques qui chassent les petits mammifères retiennent le virus de la variole boréale sur leurs griffes et le transmettent lorsqu’ils griffent l’humain.
VRSFST
Le VRSFST (virus responsable du syndrome de fièvre sévère avec thrombocytopénie) est un nouveau virus transmis par les tiques qui s’est largement répandu en Asie, notamment en Chine, en Corée du Sud, au Japon, au Viêt Nam, en Thaïlande et à Taïwan au cours des 15 dernières années. Le virus peut être transmis à l’humain par des piqûres de tiques asiatiques à longues cornes porteuses du VRSFST, provoquant une forte fièvre et la mort dans plus de 20 % des cas. Des cas de transmission interhumaine ont également été signalés. « Avec l’infection endémique en Asie de l’Est et la propagation récente de la tique asiatique à longues cornes dans plus de 20 États des États-Unis, il existe un risque important que le VRSFST arrive en Amérique du Nord et que des éclosions mortelles commencent à se produire ici », suggère la Pre Rasmussen.
Virus Heartland
Le virus Heartland est une maladie infectieuse que l’on attrape après avoir été mordu par une tique étoilée d’Amérique infectée. Les chercheurs pensent que ces tiques contractent le virus après avoir sucé le sang d’animaux infectés tels que les cerfs ou les ratons laveurs. Le virus Heartland a été signalé dans au moins 10 États américains – mais pas encore au Canada – et entraîne une hospitalisation pour déshydratation, douleur et fièvre chez la plupart des personnes infectées, et dans certains cas la mort. « Le virus Heartland est génétiquement très proche du VRSFST. Je crains que ces deux virus étroitement apparentés ne mélangent leurs génomes pour créer un nouveau virus dangereux qui constituerait une menace mondiale pour l’humain s’il n’était pas endigué », avertit la Pre Rasmussen.
Selon le Pr Kindrachuk, environ 60 à 70 % de toutes les nouvelles maladies infectieuses émergentes qui circulent dans le monde aujourd’hui sont des zoonoses. « Nous vivons encore dans un monde où les nouveaux virus ne sont surveillés qu’après l’apparition de cas humains. Nous devons chercher et trouver plus d’informations sur les endroits où les virus se cachent chez les animaux avant qu’ils ne passent chez l’humain. L’amélioration de la surveillance du SRAS-CoV-2, de la mpox et des phlébovirus tels que le SFTSV, qui circulent chez les animaux dans le monde et au Canada, nous permettra de mieux prévenir et réagir aux nouveaux variants de ces virus, ou à tout autre type de virus émergent, qui pourraient déclencher d’importantes éclosions chez l’humain ou la prochaine pandémie », ajoute-t-il.
Les virus de la grippe aviaire peuvent être transmis par des oiseaux infectés à d’autres animaux et potentiellement à l’humain, à la fois directement et indirectement. L’infection des oiseaux sauvages, de la volaille et des mammifères peut se produire directement par exposition à la salive, au mucus ou aux excréments d’oiseaux infectés, ou indirectement par l’intermédiaire d’un autre animal.
Les infections par le virus de la grippe aviaire chez les humains peuvent se produire après un contact étroit, prolongé et non protégé avec des oiseaux ou d’autres animaux infectés. Cela peut se produire lorsqu’une personne respire des gouttelettes de virus ou touche un objet sur lequel se trouve un virus, puis se touche la bouche, les yeux ou le nez.