Hélène Decaluwe, M.D., Ph. D.
Adjointe, pilier Immunologie et protection vaccinale du réseau CoVaRR-Net
Professeure agrégée, Département de pédiatrie, Université de Montréal
Clinicienne-chercheuse, Centre de recherche du CHU Sainte-Justine
Jörg Fritz, Ph. D.
Adjoint, pilier Biologie et modélisation computationnelles du réseau CoVaRR-Net
Professeur agrégé, Département de microbiologie et d’immunologie, Université McGill
Marc-André Langlois, Ph. D.
Directeur général, réseau CoVaRR-Net
Professeur, Université d’Ottawa
Ancien titulaire de la chaire de recherche du Canada en virologie moléculaire et immunité intrinsèque
Une dose est rarement suffisante
Les gens pensent souvent que les vaccins offrent à tout le monde une protection complète après l’administration de la première dose, ou ils s’attendent à ce qu’ils le fassent. « Cette perception répandue de ce que les vaccins peuvent faire n’est ni exacte ni réaliste », explique Marc-André Langlois, Ph. D., directeur général du réseau CoVaRR-Net, professeur à l’Université d’Ottawa et ancien titulaire de la Chaire de recherche du Canada en virologie moléculaire et immunité intrinsèque. « Bien que les vaccins soient l’une des plus formidables contributions de la médecine moderne, ils ne protègent pas entièrement toutes les personnes vaccinées en termes de prévention des infections, qu’il s’agisse de la vaccination contre la polio, la rougeole, la varicelle ou le virus du papillome humain. La plupart des vaccins nécessitent également plusieurs doses ou doses de rappel pour assurer une protection immunitaire efficace et durable. »
Les vaccins à ARNm ont sauvé des millions de vies, mais la protection pourrait être améliorée
Les vaccins contre la COVID-19 et en particulier les vaccins à ARNm ont remarquablement bien réussi à protéger contre la maladie grave, les hospitalisations et les décès, sauvant ainsi des dizaines de millions de vies dans le monde entier depuis leur lancement il y a à peine deux ans. Les vaccins sont la raison pour laquelle les Canadiens – et les gens du monde entier – mènent à nouveau une vie plus ou moins « normale », même si la pandémie persiste.
« Les vaccins à ARNm sont des outils extraordinaires qui réduisent considérablement la probabilité de souffrir de la forme grave de la maladie », explique le Pr Langlois. « Cependant, la question que beaucoup se posent est la suivante : pourquoi faut-il constamment recevoir des doses de rappel de vaccins contre la COVID-19, peut-être plus fréquemment qu’avec d’autres vaccins? En fait, c’est un défi de taille pour les vaccins et notre système immunitaire que de faire face à un virus respiratoire très transmissible, qui évolue très rapidement et qui peut causer des symptômes chroniques durables, ce qu’on appelle la COVID longue, même dans les cas légers de la maladie. »
Nous allons maintenant vous expliquer pourquoi plus en détail.
Des doses de rappel nécessaires pour accroître une immunité en baisse
Dans le cas d’infections virales aiguës, comme le SRAS-CoV-2 (le virus responsable de la COVID-19), l’administration d’une dose de rappel d’un vaccin à ARNm augmente le taux d’anticorps neutralisants sécrétés par les lymphocytes B du système immunitaire. Les anticorps neutralisants protègent les cellules de l’infection en se fixant à la protéine de spicule de surface du coronavirus et en empêchant le virus de pénétrer dans les cellules. Cependant, les niveaux de ces anticorps neutralisants diminuent naturellement sur une période de plusieurs mois (on parle aussi de déclin). De nouveaux variants, comme Omicron et ses sous-variants, se sont avérés échapper partiellement à la reconnaissance et à la liaison de ces anticorps, et c’est pourquoi des doses de rappel régulières sont nécessaires pour compenser la transmission du virus et aider à la réduire.
La vaccination et les doses de rappel induisent également une mémoire immunologique, c’est-à-dire la capacité du système immunitaire à se souvenir des parties d’un agent pathogène qui ont été rencontrées auparavant, que ce soit par l’infection ou par la vaccination, et à y répondre plus rapidement et plus efficacement. La mémoire est la clé de la protection à long terme contre la COVID-19. Le problème du SRAS-CoV-2 est que le virus évolue très rapidement et que, par conséquent, certaines parties du virus dont le système immunitaire se souvient peuvent ne plus être présentes dans les nouveaux variants. Les lymphocytes B et les lymphocytes T à mémoire du système immunitaire travaillent de concert pour neutraliser les agents pathogènes présents dans le sang, les muqueuses et d’autres tissus à l’aide d’anticorps et pour éliminer les cellules infectées par le virus grâce à l’immunité à médiation cellulaire, afin de prévenir l’évolution vers la maladie grave, l’hospitalisation et la mort. Les lymphocytes T à mémoire reconnaissent et éliminent les cellules infectées, mais ne sont pas les principaux acteurs de la prévention de l’infection.
« La stratégie vaccinale actuelle consiste à accroître la réponse en anticorps par des doses de rappel fréquentes pour nous aider à traverser les différentes vagues de variants en constante évolution du virus », explique le Pr Jörg Fritz, adjoint du pilier Biologie et modélisation computationnelles du réseau CoVaRR-Net et professeur agrégé au Département de microbiologie et d’immunologie de l’Université McGill. « Mais cette approche n’est pas très efficace pour prévenir l’infection et la transmission, et de nouveaux variants préoccupants peuvent échapper à certains de ces anticorps. Nous devons élaborer et optimiser d’autres stratégies de vaccination afin de stopper la transmission et d’assurer une protection immunitaire plus durable en induisant une mémoire plus forte et plus durable des lymphocytes B et T contre les parties conservées du virus. »
Il faut faire plus de recherche pour développer de nouveaux vaccins
Vaccins mucosaux
Une importante stratégie prometteuse pour prévenir plus efficacement l’infection et la transmission du SRAS-CoV-2 consiste à stimuler l’immunité dans la muqueuse de nos voies respiratoires, où le virus pénètre d’abord dans notre organisme, au moyen de vaporisateurs administrés dans le nez ou la bouche. Les doses de rappel de vaccins mucosaux, en complément des vaccins injectés, stimulent également des niveaux plus élevés d’anticorps IgA (immunoglobuline A) neutralisants qui résident dans les surfaces muqueuses du nez et de la gorge que les vaccins injectés. Les anticorps IgA des muqueuses semblent offrir une protection encore meilleure contre l’infection par le virus et ses divers variants que les anticorps IgG (immunoglobuline G), qui sont plus abondants dans le sang.
« L’objectif de la stratégie du vaccin mucosal est de fournir une protection immédiate et durable au point d’entrée et au site de l’infection. Les chercheurs tentent également de savoir si des doses de rappel de vaccins mucosaux seront capables de générer une réponse mémoire efficace à long terme dans les lymphocytes B et T, de sorte que nous n’aurons pas besoin de doses de rappel aussi fréquentes », explique le Pr Fritz.
Plus d’une douzaine de vaccins mucosaux font l’objet d’essais cliniques dans le monde entier. Des chercheurs de l’université canadienne McMaster ont également mis au point et testent actuellement dans le cadre d’essais cliniques un vaccin en vaporisateur à inhaler, qui déclenche une réponse immunitaire dans les cellules muqueuses de la paroi des poumons. « L’approche axée sur l’immunité mucosale est très prometteuse et moins invasive qu’une aiguille, mais il est urgent de poursuivre les recherches pour que cette nouvelle génération de vaccins soit disponible dans un avenir proche, en complément des vaccins à ARNm », déclare le Pr Langlois, dont le propre laboratoire développe un prototype de vaccin en vaporisateur nasal à base de protéines produites par des plantes.
Des vaccins qui ciblent plusieurs protéines virales pour augmenter la mémoire
Une autre stratégie prometteuse visant à offrir une protection plus durable contre un virus qui évolue rapidement consiste à développer des vaccins contre la COVID-19 injectés qui ciblent plusieurs protéines virales. « Le protocole actuel de vaccins à ARNm, qui comprend une série primaire de vaccins et une première dose de rappel, produit une très bonne réponse des lymphocytes T. Mais les doses de rappel supplémentaires qui ne ciblent que la protéine de spicule ne donnent pas de résultats satisfaisants. Cependant, les doses de rappel supplémentaires qui ne ciblent que la protéine de spicule ne semblent pas renforcer la réponse des lymphocytes T de manière significative ou la faire durer très longtemps », explique la Dre Hélène Decaluwe, adjointe du pilier Immunologie et protection vaccinale du réseau CoVaRR-Net, professeure agrégée à l’Université de Montréal et clinicienne scientifique au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.
« Les chercheurs développent et testent des vaccins qui ciblent non seulement la protéine de spicule, mais aussi d’autres protéines virales afin d’augmenter l’immunité des lymphocytes B et T. Il s’agit notamment de la protéine N (protéine de nucléocapside) et de la protéine M (protéine de membrane). Si cette approche peut augmenter la qualité, la force, la diversité et la persistance des réponses des lymphocytes B et T, elle pourrait générer des cellules de mémoire immunitaire pour protéger les gens pendant très longtemps », déclare la Dre Decaluwe, en notant que non seulement l’ARNm, mais aussi d’autres plateformes vaccinales peuvent être utilisées pour cibler plusieurs protéines virales.
Des études suggèrent également une stratégie de vaccination diversifiée où les personnes reçoivent des doses de rappel d’un mélange de différents vaccins à ARNm (actuellement Pfizer et Moderna) ou de différentes plateformes vaccinales – un vaccin à ARNm et un vaccin à adénovirus modifié, par exemple – pour renforcer la réponse immunitaire. « Les données montrent que des vaccins et des plateformes hétérogènes augmentent la force des réponses immunitaires des lymphocytes B et T. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si le mélange de vaccins et de plateformes est considérablement plus efficace et pourrait fournir une réponse immunitaire plus durable », ajoute la Dre Decaluwe.
Investir dans des vaccins de la prochaine génération pour tous les Canadiens, en particulier ceux qui présentent un risque élevé de COVID-19 grave
La mise au point de vaccins de nouvelle génération capables de prévenir l’infection, de stopper la transmission et d’offrir une protection plus durable est importante pour tout le monde, mais surtout pour les personnes âgées et les personnes immunodéprimées, des populations qui ne répondent généralement pas aussi bien aux vaccins actuels contre la COVID-19 en raison de leur système immunitaire affaibli, affirme la Dre Decaluwe. De plus, les vaccins de nouvelle génération pourraient également éviter à un plus grand nombre de personnes d’être hospitalisées en réduisant la probabilité de développer des maladies chroniques dues à une COVID longue, ce qui permettrait aux pays de retrouver un équilibre délicat avec les services de santé et de maintenir les gens à l’école et au travail, préservant ainsi l’efficacité de l’économie.
« Les organismes de financement doivent continuer à investir dans la recherche pour développer des vaccins intramusculaires et mucosaux diversifiés et améliorés », déclare le Pr Langlois. « En utilisant les deux stratégies de manière complémentaire, la prochaine génération de vaccins pourrait être beaucoup plus efficace pour bloquer l’infection et la transmission, en plus d’offrir une protection plus large et plus durable contre les nouveaux variants du SRAS-CoV-2 et les coronavirus apparentés pour tous les Canadiens, y compris ceux qui sont le plus à risque. »
Pour organiser une entrevue avec Hélène Decaluwe, Jörg Fritz ou Marc-André Langlois, veuillez contacter:
media@covarrnet.ca